Par Sylvain Pontier
Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu le 8 août 2014 une ordonnance de référé (www.legalis.fr) qui constitue l’occasion de faire un point précis sur le droit applicable actuellement en matière de vente de médicaments sur internet.
I- Quels sont les médicaments qui peuvent être vendus sur internet en France ?
Aux termes de l’article L.5125-34 du Code de la Santé Publique :
« Seuls peuvent faire l'objet de l'activité de commerce électronique les médicaments qui ne sont pas soumis à prescription obligatoire. »
Cet article est issu de la loi n°2014-201 du 24 février 2014 pris en son article 4.
Autrefois, l’article disposait :
« Seuls peuvent faire l’objet de l’activité de commerce électronique les médicaments de médication officinale qui peuvent être présentés en accès direct au public en officine, ayant obtenu l’autorisation de mise sur le marché mentionnée à l’article L.5121-8 ou un des enregistrements mentionnés aux articles L.5121-13 et L.5121-14-1 ».
Toutefois, dans sa décision du 13 juillet 2013, le Conseil d’Etat avait annulé l’article 7 de l’ordonnance n°2012-1427 du 19 décembre 2012 dont il était issu, en tant que l’article L.5125-34 qu’il insert dans la Code de la Santé Publique ne se limite pas aux seuls médicaments soumis à prescription obligatoire, l’interdiction de faire l’objet de l’activité de commerce électronique.
Aujourd’hui, les choses sont donc claires, seuls les médicaments non soumis à prescription obligatoire peuvent être vendus par internet.
II- Qui peut vendre les médicaments sur internet ?
La voie électronique ne déroge pas au monopole des pharmaciens.
L’article L.4225-26 du Code de la Santé Publique dispose que :
« Nul ne peut exercer la profession de pharmacien s'il n'offre toutes garanties de moralité professionnelle et s'il ne réunit les conditions suivantes :
1º Etre titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre défini aux articles L. 4221-2 à L. 4221-5 ;
…
3º Etre inscrit à l'ordre des pharmaciens. »
Aux termes de l’article L.5125-26 du même Code :
« Est interdite la vente au public de tous médicaments produits et objets mentionnés à l'article L.4211-1 par l’intermédiaire de maisons de commission, de groupements d’achat ou d’établissement possédés ou administrés par des personnes non titulaires de l’un des diplômes, certificats ou autres titres mentionnés à l’article L.4221-1 ».
La règle est donc claire, seuls les pharmaciens établis en France, titulaires d’une pharmacie d’officine (ainsi que la catégorie AC restreinte des pharmaciens gérants d’une pharmacie mutualiste ou d’une pharmacie de secours minière) peuvent avoir une activité de commerce électronique.
Il faut ajouter que celle-ci ne peut être réalisée qu’à partir du site internet de l’officine de pharmacie à l’exception de tout autre.
La cessation éventuelle de l’activité du pharmacien dans cette officine entraine, de facto, la fermeture de son site internet.
Il est à noter en outre qu’avant d’ouvrir son site de e-commerce, le pharmacien devra obtenir l’autorisation de l’Agence Régionale de Santé (ARS).
Une fois cette autorisation obtenue, l’Ordre des Pharmaciens doit être informé de la création du site.
A ce titre, il faut reconnaître la bonne organisation de l’Ordre National des Pharmaciens qui a prévu sur son site internet une liste, régulièrement mise à jour, des pharmacies disposant d’un site internet ayant l’autorisation de vendre des médicaments par internet : http://www.ordre.pharmacien.fr/ecommerce/search
A terme, l’Ordre a même prévu un logo, commun à tous les états membres de l’Union Européenne, qui atteste que ce site est bien le site d’un pharmacien.
En outre, l’Ordre National des Médecins a prévu que le pharmacien doit, de manière systématique, mentionner un lien hypertexte vers le site de l’Ordre National des Pharmaciens, du Ministère chargé de la santé ainsi que de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ANSM).
Une fiche récapitulative fort bien faite figure d’ailleurs sur le site de l’ordre des pharmaciens : http://www.ordre.pharmacien.fr/Le-patient/Vente-de-medicaments-sur-Internet-en-France
III- Apport de l’ordonnance de référé rendue par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 8 août 2014 :
L’ordonnance rendue par le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris le 8 août 2014 est intéressante en ce qu’elle fait un bon résumé de la législation applicable actuellement.
En l’occurrence, le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens (CNOP) poursuivait la société ENOVA SANTE sur le fondement de l’article 809 du Code de Procédure Civile (référé) ainsi qu’au visa des articles mentionnés ci-dessus.
La société ENOVA SANTE, exploite ainsi que l’adresse www.1001pharmacies.com qui se présente comme le « n°1 de la santé en ligne ».
Il ne s’agit pas d’un site détenu par une officine de pharmacie et c’est ce qui pose principalement problème.
Dans le cadre de ce litige, le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens demandait que la société ENOVA SANTE soit condamnée à cesser le commerce électronique de médicaments sur son site, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter de l’ordonnance et que soit ordonné le retrait des pages proposant le commerce électronique de médicaments sur le même site, avec la même astreinte.
La société ENOVA faisait valoir qu’elle avait pour activité le développement et le maintien de la plateforme www.1001pharmacies.com qui « met en relation utilisateurs et pharmaciens aux fins d’acheter et de vendre des produits de parapharmacie ».
Elle soutenait également qu’elle proposait un service de livraison de médicaments, vendus par les pharmaciens partenaires de ladite société.
Au-delà des questions de recevabilité qui étaient soulevées et de conformité à différentes directives européennes, ce qui est intéressant c’est que l’ordonnance constate non seulement que le site se livre à la vente de médicaments soumis à prescription, ce qui est totalement interdit, mais participe également suffisamment activement à la vente de médicaments non soumis à prescription pour être sanctionné.
C’est ainsi que le Tribunal juge :
« La société ENOVA SANTE exploite le site litigieux.
Elle-même joue un rôle actif dans l’activité d’e-commerce de médicaments – y compris ceux soumis à prescription médicale obligatoire – en étant, ainsi qu’elle le revendique, l’intermédiaire entre l’internaute qui souhaite acheter en ligne et le pharmacien auprès duquel cette société se fournit.
Elle ne peut sérieusement soutenir qu’elle ne proposerait aux internautes qu’un service de livraison de médicaments, après que ceux-ci aient commandé un pharmacien dénommé de tels produits.
(…)
Or, il n’est pas contesté que la société ENOVA n’est pas le site d’un pharmacien inscrit à l’ordre des pharmaciens et aucun de ses responsables n’a cette double qualité.
Ce fait caractérise un trouble manifestement illicite ».
En outre, le Tribunal constate que le site ne dispose pas d’une autorisation de l’Agence Régionale de Santé (ARS), mais, en quelque sorte, ce n’est que la suite logique du fait que le site n’est pas un site de pharmaciens.
De même, le constat de ce que le site n’est pas référencé à l’Ordre des Médecins est également la conséquence de ce qu’il n’est pas le site d’un pharmacien.
Conclusions :
Cette ordonnance rappelle les conditions strictes, mais simples de la vente de médicaments par internet :
- Uniquement les médicaments pouvant être délivrés sans prescription obligatoire ;
- Uniquement par l’intermédiaire du site d’un pharmacien, lequel aura dû avoir préalablement une autorisation de l’ARS.
Au-delà de ces conditions simples, cette ordonnance marque probablement (il ne s’agit que d’une ordonnance de référé) le coup d’arrêt à tous les intermédiaires qui envisageraient de proposer des plateformes de e-commerce, de livraison et/ou de réservation à des pharmaciens.
Le pharmacien qui souhaitera vendre des médicaments par internet devra monter son propre site.
A la date du présent article, on ne dénombre pas moins de 180 sites internet créés par des officines de pharmacie.
Preuve qu’au-delà du débat relatif au monopole des pharmaciens, on peut constater que l’initiative de la profession est bien là.
Sylvain PONTIER
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