Par Sylvain Pontier
Dans le cadre de l’affaire dite « Merah », les chaines de télévision TF1 et BFMTV ont diffusé des enregistrements des conversations entre Merah et les forces de l’ordre le 7 juillet 2012. Il s’agissait en particulier des dernières conversations que Merah a eut avec les forces de l’ordre avant que soit lancé l’assaut au cours duquel il a péri.
Ces enregistrements avaient été placés sous scellés par la justice précisément pour qu’ils ne soient pas divulgués.
Les chaines d’informations ont justifiées leur choix, en faisant prévaloir leur droit à diffuser l’information pour une affaire qui a particulièrement suscité l’intérêt des français.
Cependant, la diffusion de ces enregistrements a profondément choqué les familles des victimes de Mohamed Merah qui ont porté plainte pour recel de violation de secret de l’instruction(http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/07/11/affaire-merah-information-judiciaire-pour-violation-du-secret-de-l instruction_1732044_3224.html?xtmc=affaire_merah&xtcr=10 ).
Par la suite, le parquet de Paris a ouvert mardi 17 juillet une enquête préliminaire pour violation du secret de l’instruction sur le fondement de l’article 11 du code de procédure pénale[i].
Le principe du secret de l’instruction garantit notamment la présomption d’innocence et permet de ne pas faire obstacle à la manifestation de vérité.
C’est dans ce contexte que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a adressé une mise en garde à l’encontre de la chaîne de télévision TF1, au motif que le média n’a pas respecté le principe d’honnêteté de l’information
http://www.csa.fr/Espace-juridique/Decisions-du-CSA/Sept-a-huit-du-8-juillet-2012-TF1-mise-en-garde.
La question est de savoir ce que risquent les journalistes, ce que risque la chaîne, et si la personne à l’origine des « fuites » est menacée.
Le code de procédure pénale protège le secret de l’instruction dans son article 11 et la présomption d’innocence dans son l’article 114-1[ii] .
Cependant, l’article 11 ne soumet au secret que les parties au procès, les journalistes n’y sont donc pas soumis.
De plus, l’article 109, alinéa 2 du code de procédure pénale donne le droit aux journalistes de ne pas révéler leurs sources :
« Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine ».
Le code de procédure pénale prévoit pourtant que des recherches puissent être effectuées en vue de manifester la vérité, des perquisitions ou saisies dans les locaux de l’entreprise de presse sont donc envisagées conformément aux dispositions de l’article 56-2 du code de procédure pénale[iii]. Les bureaux d’Eléphant et Cie (siège de production de l’émission 7 à 8) ont ainsi été perquisitionnés le lundi 9 juillet, mais la police n’y a rien trouvé.
Le secret des sources journalistiques est également consacré par la Cour Européenne des droits de l’homme qui garantit la liberté de la presse. La Cour estime que l’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme « laisse aux journalistes le soin de décider s’il est nécessaire ou non de reproduire le support de leurs informations pour asseoir la crédibilité » (Cour Européenne des Droits de l’homme le 21 janvier 1999, arrêt Fressoz et Roire contre France).
Cette jurisprudence devrait probablement conduire à une réduction des condamnations pour recel de violation de l’instruction.
Théoriquement la responsabilité civile ou pénale des médias peut être engagée et déboucher sur des sanctions financières ou d’emprisonnement. Mais dans les faits, si une infraction a été commise, le ministère public est réticent à poursuivre lorsque la liberté d’expression est en jeu[iv].
L’emprisonnement et l’amende sont rarement appropriés puisque l’emprisonnement est considéré comme disproportionné et l’amende ne touche généralement pas directement ou personnellement les auteurs des infractions sanctionnées. Enfin, les dommages et intérêts n’ont pas de commune mesure avec les avantages commerciaux retirés.
Les journalistes et les médias ont donc fort peu à craindre de telles condamnations.
Il appartient au juge d’opérer une conciliation entre la liberté d’expression, et par extension le droit de diffuser l’information des journalistes avec la protection de la dignité de la personne et le droit à l’honneur par exemple, protégé par le secret de l’instruction.
Le juge dispose d’un important pouvoir d’appréciation lorsqu’il doit arbitrer en faveur du secret ou de la transparence.
Cette « affaire » relance le débat et pose la question de l’efficacité de l’article 11 qui protège le secret de l’instruction. Elle montre également que le secret d’instruction et la liberté de la presse sont des principes juridiques qui peuvent être contradictoires. La liberté de la presse ainsi que le droit pour un journaliste à ne pas révéler ces sources conduit inévitablement à ce type de conflit. L’article 11 ne prévoit pas de dispositions qui permettent de sanctionner la violation du secret de l’instruction dans ces cas, ce principe est voué à être transgressé.
Alice Monin, en collaboration avec Sylvain Pontier
[i] « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous peine … « des articles 226-13 et 226-14 du code pénal »Code de procédure pénal, article 11
[ii] [ii] « Le fait pour une partie à qui une reproduction des pièces ou actes d’une procédure d’instruction a été remise en application de cet article de le diffuser auprès d’un tiers est puni de 3750€ d’amende » Code de procédure pénal, article 109, alinéa 2
[iii] « Les perquisitions dans les locaux d’une entreprise de presse, d’une entreprise de communication audiovisuelle […] ne peuvent être effectués que par un magistrat. Ces perquisitions sont réalisés sur décision écrite et motivé du magistrat qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, ainsi que les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci » code de procédure pénale, article 56-2
[iv] Nadine Poulet-Gibot Leclerc, Jean Dematteis « Peut-on supprimer l’article 11 du Code de procédure Pénale relatif au secret de l‘instruction ? », La Semaine Juridique Edition générale n°41, 9 Octobre 2002
Marseille : 04 91 37 61 44
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